Covid-19 : Repenser la valorisation des données en temps de crise sanitaire mondiale
Dans un monde aussi internationalisé et interdépendant que le nôtre, tous les pays, les secteurs et les domaines d’activité sont affectés, et celui de la data ne fait pas exception.
Près d’un mois après son arrivée en Europe, l’épidémie de Covid-19 s’est accompagnée de bouleversements sans précédents depuis le début de notre siècle. Même si les répercussions profondes de la crise restent à ce jour incertaines, les transformations nécessaires à son endiguement suscitent d’ores et déjà d’importantes remises en cause du système dans lequel nous vivons, aussi bien sur les plans économiques, politiques, que sociétaux. Dans un monde aussi internationalisé et interdépendant que le nôtre, tous les pays, les secteurs et les domaines d’activité sont affectés, et celui de la data ne fait pas exception.
La donnée est un élément central pour comprendre cette crise, ses impacts, mais également en assurer la gestion. Elle l’est d’autant plus que le développement massif des technologies de l’information survenu au cours des dernières décennies se superpose désormais à un état de confinement quasi-général, venant considérablement augmenter le volume de données produites par le biais des interactions humaines.
Loin de nous conforter dans nos assertions, cette centralité nous invite à prendre du recul et à identifier les principaux enseignements que nous pouvons tirer de cette période pour le moins inédite.
Quels constats cette crise met-elle en évidence à propos de la situation du partage de données en France ? Quels enseignements tirer de ces constats pour redéfinir ou réaffirmer les éléments qui consolident la valeur des données, notamment en pareille situation d’urgence ? Comment garantir l’intégration de ces éléments dans des processus de gouvernance structurels, malgré leur saillance éminemment conjoncturelle ?
Donnez-nous de la “donnée brute”
Comme le constate l’un de nos précédents articles, la crise sanitaire mondiale que nous vivons génère une demande inédite vis à vis de la collecte mais surtout de la diffusion de données. Face à la prolifération d’informations parfois contradictoires, les journalistes, les chercheurs, les régulateurs, mais aussi, et c’est bien là la nouveauté, le grand public, sont en quête de ressources. Des ressources qui puissent leur permettre d’objectiver, de fiabiliser et de se réapproprier les éléments descriptifs de l’épidémie et de ses conséquences. Alors que la donnée est souvent appréhendée comme une matière première devant être modelée pour acquérir du sens, on constate une demande palpable pour un “retour au brut”, aux données dénuées de toute forme d’interprétation exogène.
L’une des manifestations les plus frappantes de cette demande a pu être observée en Belgique, où des membres des communautés médiatique, scientifique et politique ont lancé un appel à destination du gouvernement afin que celui-ci donne accès à davantage de données brutes. En réponse, le ministère de la santé a fourni un document pdf qui, parce qu’il permet seulement de consulter la donnée mais pas d’y accéder, n’a fait qu’attiser le mécontentement sur les réseaux sociaux. Suite à ces discussions, les données ont finalement été publiées en open data sur le site de Sciensano, l’institut de santé belge.
On voit donc que le besoin formulé à l’attention des autorités publiques, soit le service public attendu, ne réside pas dans la diffusion d’informations mais bien dans celle de la donnée elle-même.
Cependant, la donnée ne peut être un gage de véracité en soi. Comme le précise Rob Kitchin, une donnée, même brute, n’est jamais neutre. Elle est intrinsèquement dépendante du contexte, des personnes (physiques ou morales) et des moyens technico-politiques qui conditionnent sa production. La divergence des indicateurs choisis dans chaque pays pour décrire l’évolution de la pandémie est une parfaite illustration de cette subjectivité. Le fait que la France, jusqu’il y a peu, ne comptabilisait pas les décès survenus dans les Ehpad ou à domicile, en est une autre. Dans de telles circonstances, les données peuvent également conduire à la confusion, voire même à la méfiance du public. C’est le cas si les sources de ces chiffres, les méthodes de calcul et les procédés de traitement ne sont pas, eux aussi, clairement communiqués.
C’est pourquoi la réponse à cette demande accrue doit aller de pair avec une vigilance renforcée vis à vis de la qualité des donnée et des métadonnées. Conditionnée par l’urgence, cette réponse est aussi soumise à des impératifs de mise à jour et de vélocité de circulation. Il est donc fort probable que ces critères pèseront de plus en plus lourd dans le modèle de valorisation de la donnée, aussi bien dans le secteur de la santé que dans chaque domaine amené à être durablement impacté par cette pandémie (économie, transports, environnement, tourisme, etc).
Quand l’urgence fait ressurgir les silos
Mais devinez quoi ? Ce sont aussi les impératifs liés à l’urgence qui mettent en lumière les freins structurels qui empêchent d’y répondre. Car pour partager la donnée, encore faut-il qu’elle existe. Et si elle existe, encore faut-il qu’elle puisse circuler… Autrement dit, que les accords politiques, économiques et les moyens technologiques établis permettent à ses producteurs de la diffuser facilement et rapidement vers ceux qui pourront en faire usage. Or, le besoin d’une coordination inédite entre les secteurs et les échelons territoriaux fait ressortir les silos informationnels qui structurent notre société, elle qui se targue pourtant d’être celle de l’information.
Ces asymétries informationnelles sont par exemple au coeur des problématiques rencontrées par les acteurs de la chaîne d’intervention médicale (Etat, autorités régionales, services d’urgence, établissements hospitaliers, personnel soignant…), notamment lorsqu’il s’agit de créer des passerelles entre les différentes instances locales ou les secteurs publics et privés.
“ Quand on manque de lits, on appelle tel cadre infirmier ou tel médecin dans tel établissement, pour demander “est ce que tu peux prendre quelqu’un?” mais on n’appelle pas le privé. Ils ne sont pas dans nos carnets d’adresses. “ expliquait un membre du syndicat infirmier aux journalistes de Public Sénat. Ce besoin de renforcement des liens, même provisoire, entre public et privé appelle ainsi à de profondes transformations culturelles et technologiques afin que ces données puissent être rendues accessibles et surtout interopérables. De telles transformations sont dores et déjà à l’oeuvre pour faire en sorte que les multiples initiatives privées développées pour répondre à ces problématiques puissent partager leurs données dans un environnement mutualisé et alimenter les bases utilisées par les autorités sanitaires et publiques.
Plus généralement, de telles passerelles pourraient aussi venir renforcer les synergies entre les différents opérateurs qui continuent à maintenir le fonctionnement des services essentiels comme la logistique, la distribution alimentaire, les transports, l’eau ou l’énergie. Elles semblent d’autant plus pertinentes à l’échelle des villes, qui concentrent des réseaux d’acteurs hautement interdépendants mais peu transversaux dans leurs logiques d’intervention. A l’instar des circuits alimentaires, on pourrait donc imaginer une valorisation nouvelle des “circuits courts” de la donnée, régis par des accords public-privés visant à assurer la résilience des systèmes locaux en pareils temps de crise, voire au-delà.
Enfin, ces impératifs de coopération inter-sectorielle permettent également de raviver d’importants questionnements concernant le respect de la vie privée et la délimitation des usages autorisés dans le cadre de ces nouvelles formes d’échange. La preuve ? Les débats actuels à propos du partage des données entre les opérateurs de télécommunication et les gouvernements pour aider au suivi de la propagation du virus .
Comme le résume John Thornhill, qui apporte régulièrement son regard sur les questions relatives à la digitalisation et aux nouvelles technologies dans les colonnes du Financial Times : “Les problématiques liées à la gouvernance des données sont amenées à devenir d’autant plus importantes que les gouvernements chercheront à tirer les bénéfices des jeux de données du secteur privé, ainsi que des leurs. ”
L’open data à la une des réponses locales
En revanche, s’il y a des données qui brillent en cette période sombre, ce sont bien celles qui sont publiées en open data par les collectivités locales ! Au delà des avancées spectaculaires permises par l’ouverture de données scientifiques, l’open data est aussi devenu un instrument privilégié des administrations territoriales pour informer la population en temps de confinement.
De telles initiatives furent développées en quelques jours seulement par des collectivités de tailles diverses, avec les enjeux et ressources qui furent les leur : Découvrez-les toutes sur cette page.
Elles montrent que lorsque tous les leviers organisationnels et technologiques nécessaires à l’ouverture des données fonctionnent indépendamment de la proximité physique des personnes, l’open data devient un outil facilement actionnable pour communiquer efficacement en temps de crise. Malgré un contexte électoral encore incertain, de telles démarches permettent aux autorités locales de faire preuve de transparence sur l’évolution de la situation sanitaire de leur territoire. Elle leur donne aussi la possibilité d’augmenter la visibilité des actions et des ressources déployées pour répondre aux besoins des entreprises et des administrés.
Dans bon nombre de collectivités, la mise à disposition de données reste en temps normal bien souvent appréhendée sous l’angle de la contrainte légale, du devoir de publication. Le corollaire de cette approche est qu’une fois publiées, les données sont rarement converties en usages, alors que c’est précisément de là qu’elles sont sensées tirer toute de la valeur.
La particularité des temps de crise, c’est qu’ils établissent des priorités d’action extrêmement claires. C’est cette définition précise des objectifs politiques à court terme qui facilite l’identification d’usages à forte valeur ajoutée, ceux qui permettent précisément de répondre à ces objectifs primordiaux. La question est alors moins de savoir si ces usages continueront à se développer en période d’après-crise, mais plutôt de découvrir comment ils pourront être appliqués à d’autres contextes, et dans d’autres territoires, une fois le spectre des priorités à nouveau élargi.
Replacer la donnée au coeur des stratégies de résilience
Le partage des données doit ainsi être replacé au coeur des questions de résilience de nos sociétés. Leur résilience face aux crises, mais plus globalement leur résilience dans un monde qui traverse de profonds changements climatiques, écologiques, économiques et idéologiques.
En tant qu’éditeur de solution logicielle, nous pouvons, de par la diversité des acteurs avec lesquels nous travaillons, aider à mettre davantage en avant les passerelles qui relient les Etats, les échelons territoriaux ou encore les secteurs d’activité, afin de construire des systèmes de gouvernance de données plus pérennes.
Nous avons par ailleurs la chance de pouvoir, chaque jour, assister à l’émergence de nouvelles problématiques, de nouveaux projets, et de nouvelles réalisations que nous nous efforçons de diffuser auprès de tous les acteurs de notre écosystème. Ce partage de connaissances est essentiel, car c’est lui qui permettra d’inscrire de nouveaux usages au-delà du contexte d’urgence dans lequel ils ont été produits.
Enfin, nous pouvons continuer à accompagner les producteurs dans la mise en qualité, l’actualisation, et l’enrichissement de leurs données en leur fournissant les outils adaptés aux nouvelles exigences. Parmi ces outils, on compte notamment notre cher réseaux de données ouvertes, le Data Network, qui vient de dépasser la barre des 20 000 jeux de données !
Et vous, quels enjeux discernez-vous pour les données du monde de demain ? N’hésitez pas à nous faire part de vos réflexions sur les réseaux sociaux.
Le partage de données, depuis le début de la crise du Covid-19, est-il devenu une ressource clé dans la prise de décision des acteurs économiques ? Pour répondre à cette question, nous avons interrogé conjointement Damien Pelletier, CEO d’Ecomesure et Jean-Marc Lazard, notre CEO.
L'année 2020 ne s'est pas déroulée exactement comme je l'avais imaginé. Si la pandémie n’avait pas eu lieu, je serais assise à mon bureau, au siège du Programme des Nations unies pour l'environnement à Nairobi, au Kenya, en train de rédiger des contenus pour les comptes des réseaux sociaux mondiaux du PNUE.